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Reinventing Organizations

·1746 mots·9 mins
Frédéric Laloux
Sommaire

Nous sommes dans une période de transition entre un vieux monde qui s’effondre et un nouveau qui n’a pas encore pris forme. Certains s’agrippent à leurs vieilles convictions et appliquent frénétiquement des solutions qui ne fonctionnent plus, tandis que d’autres changent radicalement de point de vue et se mettent en quête de nouvelles idées.

L’objectif final est de faire fonctionner une entreprise de manière plus efficace et plus riche, en âme et en sens. L’auteur décrit une évolution des entreprises en une catégorisation de plusieurs couleurs :

Rouge (Les Clans)
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Le rouge est la couleur des sociétés instables, qui résistent mal au changement. Elles sont cependant réactives en situations chaotiques, et ont permis la mise en place de la division du travail et l’autorité hiérarchique.

Ambre (Le conformise)
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Il s’agit du côté traditionnel, dominé par Dieu. Le monde est stable, assuré, et basé sur la certitude que chacun connait son rôle et ce qui est attendu de lui, ce qui permet de projeter une forme de prévisibilité - qui amène à son tour la stabilité des rituels et des processus. Les avancées apportées sont la reproductibilité des processus et leur intégration dans un système plus grand, accompagnées par une stabilité de la hiérarchie.

Orange (La réussite)
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Il s’agit de l’évolution la plus complexe et inhumaine. Elle requière une rapidité d’innovation et d’intelligence pour amener au succès, à la richesse et au profit. Les exemples concrets sont les banques et les grosses multinationales. Ce stade a amené l’innovation, la responsabilité du management par objectif, les évaluations et la méritocratie.

Le stade orange est la représentation de la croissance pour la croissance - ce qui est précisément la définition du cancer -, du matérialisme, de perte de sens, de dommages à la nature et de la tangibilité. Ses critères de succès sont l’argent et la reconnaissance :

  • Soit nous atteignons le sommet de la pyramide, et ce sommet apparait finalement comme étant différent de ce à quoi nous nous attendions (ou en tout cas qu’on nous en a promis),
  • Soit nous n’atteignons jamais le sommet, et nous avons perdu notre temps à essayer d’atteindre un objectif.

Vert (Le pluralisme)
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Ce stade est une critique totale d’une société orange : dans cette évolution, tout le monde a la même valeur et tout le monde doit être écouté. Les enterprises sont vues comme de grandes familles, des communautés. Les avancées perçues sont l’autogouvernance, l’autonomisation, et peu (ou pas) de hiérarchies afin de prendre les décisions au plus proche de la base. Il y a une culture des valeurs, qui donnent des repères pour la prise de (bonnes) décisions, ainsi qu’un respect des parties prenantes.

A côté de ceci, le consensus (ou sa recherche) mène parfois à la paralysie ; afin d’éviter ce blocage, les sociétés vertes finissent (malgré tout) par conserver une hiérarchie classique. L’évolution aux stades ultérieurs ne mène pas à “devenir meilleur”, mais à être capable d’aborder des problématiques plus complexes.

Aucune société n’est 100% verte ou 100% orange, mais plutôt un panaché de plusieurs couleurs.

Opale (L’évolution)
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Les sociétés opales visent le développement individuel et collectif. Elles cherchent à dompter l’égo et à orienter vers une justesse intérieure, plutôt que dirigée par l’égo et par la recherche de résultats. Il y a une prise de conscience de la vacuité de la vie et que nous sommes (finalement) tous reliés.

Principe d’autogouvernance (Intelligence collective)
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Les soins de santé aux Pays-Bas ont clairement évolué vers un système orange, avec une mutualisation et un regroupement des infirmières - certaines étant spécialisées, tandis que d’autres restent au niveau de la base - en visant une forme d’industrialisation du suivi des patients. En contrepartie, ni les patients, ni les infirmières n’aiment ce système.

Une vision radicalement différente a été nécessaire, avec une réinterprétation du métier d’infirmière. Le siège social ne compte que 28 collaborateurs pour l’ensemble de l’entreprise. L’impact et le gain sont ailleurs. Grâce à cette réorganisation, les points suivants ont été constatés, et une économie de plusieurs millions d’euros a pu être constatée au niveau de la sécurité sociale, avec :

  • Une réduction de 30% des admissions aux urgences,
  • Une utilisation en baisse de 40% des heures prescrites.

Dans une structure pyramidale, les décisions sont prises par le management - parfois après avoir passé plusieurs semaines à préparer un exposé, qui sera torché en 30 minutes. Le problème est qu’aucun système complexe ne peut être géré par une structure pyramidale incapable de gérer la complexité. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, une société basée sur l’autogouvernance dispose bien d’une structure de coordination ; c’est juste que celle-ci n’est pas hiérarchique : les réunions sont moins fréquentes, et la résilience s’est trouve renforcée. Il s’agit donc d’un système d’autorité distribuée, autant pour le planning des week-ends, pour les congés, pour le recrutement, …

Pour revenir au système de santé aux Pays-Bas, un coach est disponible au niveau régional, pour aider à aiguiller une discussion ou décision si cela s’avérait nécessaire. Ce coach n’a aucune autorité sur l’équipe : toutes les décisions se prennent ensemble, en améliorant le partage de connaissances. Ceci peut être fait en suivant les principes suivants :

  • Sollicitation d’avis : quiconque a un avis significatif doit être écouté,
  • Plus la décision est importante, plus le nombre de personnes à consulter doit être important,
  • Les propositions de décisions sont développées au fur et à mesure de l’implication des différents participants. En 24h, des décisions affectant l’ensemble des “niveaux” de l’entreprise peuvent être prises, simplement en améliorant le processus de communication et les mécanismes de partage d’informations et de prises de décisions.

Dans une société traditionnelle, la prise de décision pourrait être schématisée de la manière suivante :

En intelligence collective, la prise de risque doit être discutée et pas distillée. Si un collaborateur n’a pas envie de bien faire son travail, il est nécessaire de trouver le point de blocage. Les demandes d’augmentation sont à l’initiative de chacun, sous réserve d’une sollicitation d’avis : si un collègue exagère réellement, une résolution de conflit pourra être enclenchée.

De manière plus générale, la plupart des environnements professionnelles découragent la motivation : à un moment, l’employé est découragé et décide de faire le minimum. Le travail bien fait est une source de satisfaction : il y a une forme de “concurrence” liée à la transparence, qui déclenche une crise d’orgueil (positive), qui amène une équipe à “se battre” pour revenir dans la course.

Il n’y a donc plus d’autorité hiérarchique, mais cela ne signifie pas que tout le monde aura le même pouvoir : certains auront davantage de voix, simplement grâce à leur investissement, à leurs compétences ou à leurs centres d’intérêts. L’absence de manager libère l’espace pour des hiérarchies plus naturelles. Tout le monde n’est donc pas égal, et certains profils se contenteront de “simples” postes. Le but n’est donc pas de donner le même pouvoir à chacun, mais de permettent à chacun d’exercer pleinement son pouvoir.

Une structure pyramidale est plus compréhensible parce que nous y sommes habitués, mais une structure organique est plus simple, plus naturelle et plus intuitive. Elle est sous-jacente, fluide et en constance évolution.

Principe de plénitude (= être pleinement soi-même au travail)
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L’objectif principal de l’égo est de faire bonne impression, d’avoir le dernier mot en réunion, … Le socle de l’égo est la peur - et la nature profonde d’un être est d’avoir de l’espoir pour sa propre vie, pour la planète, … Par exemple au niveau des processus de recrutement, l’objectif est de se baser sur la franchise, l’honnêteté et la transparence, afin d’éviter de devoir percer les faux-semblants dès le processus d’engagement, et afin de poser des bases stables pour travailler en toute confiance, en toute connaissance. En pratique, vous pouvez compter sur vos collègues, car ils savent que vous leur rendrez la pareille quand ils auront besoin de souplesse : il s’agit d’une culture de soutien mutuel.

Au niveau des entretiens, plutôt que de poser les sempiternelles questions types “Cite-moi trois points forts / à améliorer”, il est proposé d’avancer sur les questions suivantes :

  • A quoi aspires-tu ?,
  • Quels sont tes dons ?
  • Qu’est-ce qui t’empêche d’avancer ?
  • Quel est le domaine qui pourrait t’aider à grandir ?

Principe d’évolution
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Afin d’avancer dans ce stade, il faut répondre aux deux questions suivantes :

Quels sont les concurrents à votre entreprise, et comment ne pas faire comme eux ?

Il faut se forcer à arrêter de prévoir et planifier, et essayer plutôt d’accompagner et suivre un système qui a son énergie propre : le défi est de se défaire de l’illusion que nous maîtrisons une situation planifiée. Il est certain qu’il faut un cap, mais il est nécessaire de s’adapter à la réalité :

La plupart des entreprises émettent des plans sur cinq ans et des actions à réaliser l’année prochaine. Il faut en fait regarder 20 ans en avant et ne pas prévoir plus loin que le lendemain.

Une idée est de ne rien faire de spécial, et de laisser opérer la magie de l’autogouvernance, où chacun est libre de capter et d’orienter les changements. Dans une organisation traditionnelle, seuls les signaux de la direction sont pris en compte, avant d’être appliqués à tous les échelons - non sans distorsions. L’innovation ne résulte pas d’une initiative centralisée et planifiée, mais une adaptation permanente aux marges, le tout sous une certaine forme d’humilité.

Comme déjà cité plus tôt, le but n’est pas de donner le même pouvoir à chacun, mais de donner du pouvoir à chacun. Il y a des personnes qui sont plus aptes que d’autres à sentir la direction à prendre et qui peuvent facilement démarrer le processus de sollication d’avis. Il est donc important de ne surtout pas laisser tomber l’aspect stratégique : l’objectif est bien de passer d’un modèle “prévision-contrôle” à un modèle “écoute-réponse”. Le contrôle reste nécessaire - tous les systèmes naturels l’exigent - mais prévenir tous les risques est impossible. Il faut prévoir les plus gros risques, puis s’adapter et corriger les plus petits (et le plus rapidement possible). Ceci rejoint le principe de fast-feedback : il est nécessaire d’avoir les informations le plus vite possible, afin de pouvoir prendre les actions et décisions le plus rapidement possible.

La confiance est un prérequis à tout changement. Il est possible de rester à l’écoute pour réagir vite, en s’appuyant sur les réussites passées et en tirant parti des échecs. L’important est d’aller dans le sens de l’énergie.